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- Nos ancêtres les Romains! J’ai parfois l’impression que vous y croyez encore… Tenez, madame Klug, la femme qui m’a…
- Taisez-vous jeune homme! Tous les peuples peuvent devenir fous; toutes les nations peuvent tomber malades de leur histoire au point de s’inventer un passé, hurle-t-il en dressant l’index comme un pasteur en colère, mais pour nous Allemands, c’est terminé: nos folies sont de telles béances que le monde entier pourrait s’y abîmer. Ces folies en disent autant sur la nature humaine que sur nous! Examinez l’Allemagne, vous comprendrez l’Europe, et si vous comprenez l’Europe, vous comprendrez le monde!
L’homme fixe à nouveau le goulot de sa bouteille comme si ce bec de verre était à l’origine de ce qu’il vient de proférer.
- Alors rien n’a changé et comme dit la chanson, vous les Allemands, êtes au-dessus de tout!
- Ha! Comme vous y allez mon garçon! C’est scandaleux, ce n’est pas en ordre… Vous plaisantez avec de ces choses, scande-t-il en allemand la bouche tordue par d’horribles tremblements, c’est impossible! Mais vous ne me ferez pas dire que j’ai honte d’être Allemand, pas vous!
- Il suffirait que je vous raconte une anecdote pour que vous ayez honte. Vous Allemands, vous croyez tellement à part que vous vous sentez engagés par tous les actes de vos compatriotes fussent-ils imbéciles!
- L’histoire ne nous donne pas le choix jeune homme, ne l’avez-vous pas remarqué?
- Vous donnez des leçons, très bien. Mais sachez que ce culte de la responsabilité et du devoir que vous ne cessez d’afficher et de revendiquer, ne trouve pas ses origines dans vos crimes passés, mais qu’il en est la cause! Les massacres, les génocides et autres horreurs ne sont pas des accidents de l’histoire. L’histoire est tragique et si l’Allemagne s’est rendue coupable du pire, c’est à cause de cette prétendue importance qu’elle se donne depuis des lustres… Tenez! Il fût un temps où pour être un bon Allemand, il fallait au moins accepter que ces crimes soient commis au nom de l’Allemagne, pour le bien de celle-ci et pour l’ordre du monde. Aujourd’hui, se comporter en bon Allemand, c’est accepter le fardeau de ces crimes, croire en la démocratie, faire preuve de tolérance et se repentir sincèrement des horreurs commises… Repentir que d’ailleurs, vous n’hésitez pas à exhiber pour montrer qu’en matière de contrition et de pénitence, vous êtes les meilleurs.
- A vous entendre, nous portons le mal dans nos gênes. Vous n’êtes qu’un sale gamin, siffle-t-il dégoûté.
- C’est en nous, en chacun de nous. Mais vous, vous croyez devoir mettre de l’ordre dans le chaos et à ce petit jeu, vous êtes mauvais! Vous savez, il n’y a pas si longtemps, j’ai pris ce même train avec ma mère et ma sœur. C’était peu après la chute du mur, quand l’Allemagne de l’Est était aussi grise que la Pologne. Pourtant, l’époque était à l’optimisme. Rappelez-vous: tous ceux qui avaient cru aux lendemains qui chantent rêvaient d’obtenir tout immédiatement! Ils croyaient aux slogans qui disaient que le présent était en train de rattraper l’avenir!
- C’est vrai, mais venez en aux faits…
- J’y viens! J’étais donc dans ce train avec ma mère et ma sœur. Le voyage était long, l’air humide et froid, ma sœur était malade et le train grinçait. C’était la première fois que nous faisions ce trajet et c’était également la première fois que je pouvais me faire une idée de ce qu’avait été l’autre côté du rideau de fer.
- C’est cela, en regardant par la fenêtre d’un train… Mais qu’est-ce que vous pouvez déblatérer comme idioties, jeune homme!
- Exactement, par la fenêtre d’un train! Vous n’imaginez pas tout ce que l’on peut comprendre d’un pays en le regardant défiler derrière une vitre. Surtout quand cette fenêtre encadre une scène aussi remarquable que celle à laquelle nous avons assisté une fois entrés en gare de Magdeburg.